- lehavre.fr : Après une formation hip-hop, vous créez en 2010 la compagnie Massala. Refusant les étiquettes et dépassant les clichés, vous épurez les mouvements hip-hop en échangeant avec d’autres langages : le contemporain, le jazz, les danses traditionnelles, le cirque… Quelles sont les sources et singularités de votre travail ?
Fouad Boussouf : Je suis quelqu’un de curieux qui ne se satisfait pas d’une seule technique ou d’un seul vocable. J’ai besoin de me nourrir d’autres esthétiques, d’autres techniques. J’ai commencé avec le hip-hop, mais j’ai très vite pris d’autres formations pour étoffer mon vocabulaire et m’ouvrir à d’autres disciplines. Une manière aussi d’aller vers les autres et de voyager. Tout ceci participe aujourd’hui à mon écriture chorégraphique.
- lehavre.fr : Vibration, partage, générosité, universalité… Des mots, peut-être d’autres d’ailleurs, qui vous mettent en mouvement ?
F.B. : L’idée de partage passe par la vibration. La vibration est nécessaire pour communiquer, par un regard, par quelque chose qui nous émeut. Mes créations sont une forme de communion sur le plateau, et j’ai le souhait que celle-ci se propage à la salle. L’art et la culture doivent être partagés, et faire voyager les spectateurs.
- lehavre.fr : Depuis le 1er janvier 2022, vous prenez la direction du Phare – Centre chorégraphique national du Havre – Normandie. Votre projet havrais s’intitule « Enchanter le quotidien ». Comment comptez-vous nous envoûter ?
F.B. : L’idée est de partir de mon expérience personnelle qui grâce à la danse, grâce à l’art, m’a construit et m’a ouvert au monde via une pratique artistique. Partager l’art et la culture avec le plus grand nombre permet de mieux vivre ensemble et s’émanciper.
« Enchanter le quotidien », c’est permettre aux Havrais de voir de la danse, s’évader, rêver, partager des temps de poésie dans notre quotidien qui lui n’est pas toujours évident.
C’est une très belle mission que j’ai envie de porter. Concrètement, ça se traduit par de la danse, partout, là où on ne l’attend pas, en salle, mais aussi dans l’espace public.
- lehavre.fr : L’espace public justement, vous souhaitez y développer des projets interdisciplinaires ?
F.B. : L’idée est d’aller à la rencontre des publics, faire en sorte qu’on puisse voir de la danse dans la rue, dans les musées, dans des lieux improbables. Il faut aussi réinventer la danse qui doit s’adapter à son temps. Il y a également le numérique qui aura une place importante pour communiquer et partager la danse et les actions du centre chorégraphique. Au Havre, il y a une architecture particulière, et la danse doit être aussi au service de notre environnement. Valoriser l’environnement par la danse et inversement, cela fait partie de l’enchantement.
- lehavre.fr : Des projets aussi en direction des jeunes générations ?
F.B. : Il y a des projets à l’attention des écoliers ou des jeunes générations par le biais des actions culturelles. YËS, un spectacle en duo, que j’ai créé pendant le confinement à vocation à être jouer dans les écoles notamment. La pratique amateur doit être aussi plus visible et plus valorisée, en s’invitant dans les classes, mais aussi en les invitant à venir voir des spectacles et présenter leur travail dans le cadre d’ateliers, de rencontres avec les associations sportives, etc. L’objectif commun est de faire savoir que la pratique de la danse n’est pas exclusivement réservée aux professionnels, et qu’elle participe à la construction de l’individu, avec son corps. La jeunesse en a encore plus besoin ; le corps étant un enjeu de ce siècle.
- lehavre.fr : Comment souhaitez-vous travailler avec les partenaires du territoire ?
F.B. : Dans une ville comme Le Havre, et comme j’ai pu le faire ailleurs, il faut travailler pour l’intérêt général. Il est donc nécessaire de mutualiser, de se rencontrer et d’imaginer des choses ensemble et ainsi enchanter notre quotidien. Nous avons tous un rôle à jouer.
- lehavre.fr : Le Phare, un lieu également de résidence et de création pour les artistes…
F.B. : Le Phare est un lieu ressource et d’accueil où les artistes sont chez eux pour travailler dans les meilleures conditions. Ce lieu doit aussi montrer la diversité des propositions artistiques, en termes de techniques et de formes. Il est également prévu d’avoir des artistes associés pour les faire connaître, qu’ils soient vus, et faire connaître leur écriture.
- lehavre.fr : Quelles sont les sources d’inspiration de votre travail ?
F.B. : Chaque création sans exception démarre d’un mot, d’un texte, d’une poésie. C’est une spécificité de mon travail. Je travaille également avec des dramaturges dans l’écriture de mes pièces. La musique enfin a une place particulière. Des musiques existantes, des compositions et aussi beaucoup d’enregistrements de sons du quotidien que je réalise partout où je me rends, comme ici au Havre avec la mer, les rues, etc. Je les intègre et les filtre pour donner une texture singulière à mes créations musicales et sonores.
- lehavre.fr : Que vous a révélé votre première rencontre avec Le Havre ?
F.B. : Pour l’anecdote, j’ai grandi à Romilly-sur-Seine, en amont de la Seine. Quand je faisais du canoë en CM2, on se demandait où le cours d’eau pouvait nous mener. Au Havre donc, et aujourd’hui, j’y suis. Quand j’ai découvert Le Havre donc, il y avait avant toute chose son port et cet horizon. Venant d’Afrique du Nord, je me suis senti porté. Le voyage était face à moi, une invitation évidente et inspirante. Une ville portuaire comme un endroit d’où l’on vient et où l’on va. Il y a aussi une architecture particulière, presque vibratoire, et l’histoire du Havre qui m’a séduit et auquel j’associe un mot clé : la résilience. J’ai envie de construire des choses dans cette ville en mouvement, propice aux voyages.
- lehavre.fr : Le festival Pharenheit, quel avenir ?
F.B. : Le festival changera de nom en proposant des artistes – locaux ou de l’autre bout du monde – qui symbolisent une diversité esthétique. Il sera intitulé Plein Phare en novembre avec des propositions artistiques en salle dans différents lieux de la ville. Un deuxième temps en janvier qui ferait raisonner les corps avec les mots. En effet, il y a l’écriture qu’on connaît tous, et il y a l’écriture du corps dans l’espace. Le mot et le rythme ont un impact sur la façon de se mouvoir dans l’espace. J’ai donc envie de faire se rencontrer les férus de littérature et de danse en m’appuyant sur le réseau des bibliothèques et médiathèques du Havre. Et enfin, le troisième temps, dans l’espace public, au début de la saison estivale, associé – je l’espère – à Un Été Au Havre pour que les publics et les artistes puissent se rencontrer.
- lehavre.fr : Quand pourrons-nous découvrir votre travail ?
F.B. : Les premiers mois vont permettre de prendre nos marques. La saison commencera concrètement en septembre prochain. Je vous présenterai mon travail et mes pièces actuellement en tournée en novembre, au Phare ainsi que sur la scène nationale du Volcan. Entre temps, je m’accorde le droit de faire quelques surprises ici et là.