LH Océanes : Quel est votre parcours professionnel ?
Olivier Rodriguez : J’ai fait pratiquement toute ma carrière dans le tennis : professeur dès 18 ans, puis entraîneur de haut niveau, notamment d’une joueuse du Top 60 mondial. Un coup de téléphone de Paul Le Guen en 2019 m’a donné la belle opportunité de travailler avec lui ici au Havre.
LH Océanes : Et comment arrive l’écriture ?
O.R. : C’est vrai que le lien n’est pas évident. J’ai toujours été très intéressé par la capacité de certaines personnes à bien s’exprimer, par le biais d’un article, d’un livre, d’une pièce de théâtre… Mon premier choc fut Sacha Guitry ! Je me suis nourri de ses films, rué sur ses pièces. Il a déclenché beaucoup de choses. Jusqu’à ce que, il y a quatre ou cinq ans, un journal, Atlantico, me demande d’écrire des articles sur le tennis ou sur le foot. Je me suis pris au jeu.
LH Océanes : Comment passe-t-on à la rédaction d’un livre ?
O.R. : Les livres, on les fait pour soi, mais aussi pour qu’ils soient lus, ne serait-ce que pour se poser cette question : qu’est-ce que je vaux ? En cherchant des informations pour mes articles, j’ai accumulé des réflexions, trop longues ou trop déconnectées pour être utilisées. J’ai fini par trouver une articulation et j’ai décidé d’en faire un livre. Une fois qu’il a été terminé, je l’ai donné à lire à deux ou trois proches qui m’ont renvoyé des signaux plutôt positifs, et je me suis lancé : je ne connaissais pas de maisons d’édition, j’ai envoyé mon manuscrit comme tout le monde !
LH Océanes : Comment décririez-vous votre livre ?
O.R. : C’est à la croisée de plusieurs chemins. Bien sûr, le matériau principal est le sport, mais comme je le fais toujours pour mes articles, c’est un prétexte à d’autres digressions, qui peuvent être à tendance sociologique, reliées à d’autres pans de vie culturelle, aux problèmes de la vie quotidienne, aux histoires d’amour… Certaines défaites auxquelles j’ai assisté comme spectateur ou téléspectateur ont été extrêmement prégnantes, et j’ai voulu essayer de comprendre pourquoi et comment elles m’avaient autant marqué, comment elles avaient influé sur les sportifs concernés. C’est aussi une manière d’appréhender comment l’échec nous forme, j’ai souhaité rattacher cela à ce qui fait le quotidien d’un individu, avec ses hauts et ses bas. C’est ce qui rend le sport fascinant : il véhicule une beauté tragique qu’on ne peut rencontrer que dans le théâtre antique, les plus grands films de l’histoire du cinéma ou les meilleurs romans. Mais à la différence des œuvres d’art, il est « réel », c’est pour cela qu’il nous impacte autant.
LH Océanes : Comment avez-vous sélectionné ces souvenirs ?
O.R. : Je ne suis pas certain de les avoir sélectionnés. Parce que la mémoire est un animal étrange qui a son fonctionnement propre. Le premier qui m’est venu, certainement parce que c’est le trauma fondateur le plus impactant, ce sont les Bleus de Platini à Séville en 1982. Puis j’ai ajouté Fignon, des joueurs de tennis…
LH Océanes : Remuer toutes ces défaites n’est pas un peu masochiste ?
O.R. : Oui et non, parce qu’avec le temps, elles se sont transformées. J’ai été extrêmement marqué par la course de Merlene Ottey où elle échoue pour quelques centièmes de secondes sur la quête d’une vie entière, la médaille d’or olympique. C’est un souvenir dans lequel je ne me suis pas beaucoup promené les premières années qui l’ont suivi. Mais au bout d’un moment, parce que la mémoire est aussi ce qu’on en fait et qu’elle se nourrit de tous les vestiges qu’elle rencontre, ces mauvais souvenirs se sont patinés. Comme ils sont rattachés à des périodes heureuses malgré tout, il n’est pas désagréable de s’y promener. C’est donc de moins en moins masochiste et de plus en plus agréable !
LH Océanes : La nostalgie est-elle une vertu ?
O.R. : Je pense même que c’est la seule maladie dont il ne faudrait pas guérir ! Courteline a écrit : « Mauvais souvenirs, soyez les bienvenus, car vous êtes ma jeunesse lointaine. » Ça résume le sentiment que je voulais faire passer.
LH Océanes : Vous a-t-on déjà dit que vous ne rentriez pas dans les cases ?
O.R. : Je ne m’en rends pas compte et ça m’est égal. Je n’ai pas un parcours classique, mais j’aime bien faire ce type de grand écart. Parce que j’aime aussi me mettre en danger. Toujours pour répondre à cette question : qu’est-ce que je vaux ? J’aborde les articles de la même façon que quand je jouais au tennis : je me prépare, je m’entraîne. Et j’espère être à la hauteur de ce que les gens demandent ou de ce que j’exige de moi-même.
LH Océanes : Comment expliquez-vous qu’on se souvienne plus de la défaite de l’équipe de France en 1982 que de sa victoire à l’Euro en 1984 ?
O.R. : Je pense qu’à hauteur d’homme, une existence est plus souvent jalonnée, malheureusement, par les échecs que par les succès. Alors, c’est à l’encontre de ce que la société consumériste veut nous faire accroire tous les jours, elle nous vend les réussites, elle crée des idoles quand elles ne se font pas d’elles-mêmes, mais à hauteur d’homme l’échec est peut-être ce qui résume le mieux la vie d’un être humain. Schopenhauer, qui est un philosophe que j’adore, a expliqué il y a bien longtemps que selon lui, l’existence d’un homme était marquée par un pendule qui oscillait entre l’ennui et la douleur. S’il n’a pas tout à fait raison, il n’a pas non plus tout à fait tort ! C’est pour cela que les échecs nous impactent beaucoup, parce qu’ils sont nombreux : dans un quotidien, on est plus souvent affecté par ses échecs, en nombre ou en impact que par les succès que l’on rencontre. Fignon, par exemple, est un immense coureur qui a remporté entre autres deux Tours de France, mais dans l’imaginaire collectif, il incarne la défaite ultime pour quelques secondes sur un parcours de trois semaines avec des milliers de kilomètres avalés.