Rencontre avec Pascal Maitre, photojournaliste

  • lehavre.fr : Au moment de l’inauguration de votre exposition le 28 février dernier, vous reveniez tout juste d’Afghanistan. Ce seul nom en ferait frémir beaucoup, pourquoi pas vous ?

Pascal Maitre : C’est un pays que j’ai connu à différentes périodes, comme celle des Moudjahidine contre les Soviétiques, ou lors de la première prise de pouvoir des Talibans plus tard aux côtés du commandant Massoud. Je viens d’y passer douze jours en plein hiver. Paradoxalement, les journalistes sont plutôt bien accueillis pour le moment, les Talibans étant attentifs à obtenir une certaine reconnaissance internationale. Cette ouverture ne va sans doute pas durer…

  • lehavre.fr : Comment en arrive-t-on à devenir photoreporter ?

P.M. : Il n’y a pas de recette, juste des moments, des coups de pouce du destin. Le premier pour moi a eu lieu quand j’avais 13 ans. Originaire de la région de Châteauroux où se trouvait une base militaire américaine après-guerre, mes deux sœurs ont épousé des aviateurs. Mon oncle de Chicago m’a un jour offert un Rolleiflex que j’admirais lors de son séjour. Je me suis confronté à la photo au club du lycée puis ma fascination a fait le reste. Ma sensibilité à l’image s’est affirmée lors de voyages effectués durant mes études : trois mois en solitaire en Inde, puis le Pérou et la Bolivie, l’Afghanistan et la Birmanie, les choses devenant un peu plus « sérieuses » à chaque retour. Ayant eu l’opportunité de montrer mes diapositives, on me sollicitait de plus en plus souvent jusqu’à me commander une série sur des Gitans. J’ai alors abandonné la fac.

  • lehavre.fr : Vous vouliez déjà en faire votre métier ?

P.M. : À cette époque, je devais faire le service militaire. Le hasard a fait que mon père pêchait avec le photographe du ministère de la Défense qui m’a appuyé pour que mon service national se déroule au sein du service photo et cinéma de l’Armée. Resté à Paris, j’ai composé un book et rejoint le groupe de presse Jeune Afrique, où j’ai appris le métier de journaliste et commencé à travailler sur le terrain avec des journalistes africains. J’ai ainsi perçu le continent à travers leurs expériences. J’ai aussi rejoint l’agence de presse Gamma par la suite.

  • lehavre.fr : Quelles peurs éprouve un photojournaliste ?

P.M. : Avant tout, celle de ne pas réussir son reportage : on ne maîtrise jamais tout, ni techniquement, ni sur le plan des situations, ni pour la santé. Quand on a la confiance d’un média, on se sent responsable. Les notions de danger sont finalement assez contenues sinon on ne ferait rien.

  • lehavre.fr : Quel est votre reportage favori ?

P.M. : Toujours celui que je viens de faire ! J’observe ce à quoi le public est sensible lors de mes expositions et, de façon récurrente, le reportage sur la manière de vivre sans électricité en Afrique semble particulièrement retenir l’attention. Savez-vous que 650 millions de personnes vivent sans électricité en Afrique subsaharienne ? Pour les autres, les coupures sont incessantes avec tout l’impact que cela a sur le quotidien, la santé, la sûreté, l’économie. Le sentiment d’injustice est profond. Une partie de ce reportage est d’ailleurs visible à la Bibliothèque universitaire.

  • lehavre.fr : Quels sont les grands changements que vous observez depuis quarante ans, et quels impacts sur votre approche ?

P. M. : J’observe qu’aujourd’hui les Africains n’attendent plus rien des autres. La jeunesse se bat tous les jours dans une région du monde où tout se paie cash : pas d’allocations chômage, ni d’assurance maladie là-bas. Cette jeunesse donne de grandes leçons de courage et de vie, cette dernière étant plus forte que tout. La créativité peut y être extraordinaire alors qu’ils ne disposent d’aucuns moyens matériels : c’est aussi une bonne leçon pour moi dont j’essaie de m’inspirer dans ma pratique.